Okuyama-ryû

Okuyama-ryû

Hakkô, "huitième lumière", l'ultra-violet. Ou, pour une efficacité hors du commun, un usage du corps... différent

 

"Chacun vient à la pratique avec des objectifs et des attentes différentes. Et c'est très bien ainsi." (HINO Akira sensei)

Et vous, pourquoi êtes-vous là? J'entends par là, ici devant votre écran à lire ces quelques mots, ou bien encore sur les tatami de notre école. L'intention est ce qui gouverne tout le reste. Votre motivation est ce qui conditionnera votre progression, la question est donc digne d'intérêt ; ça peut être un mélange de plusieurs motivations, comme de résoudre un sentiment de vulnérabilité dans une société qui n'a pas vraiment perdu de sa violence d'antan, mais aussi profiter d'un art de vivre issu d'une tradition encore bien vivante,... ou encore acquérir les pouvoirs quasi magiques des maîtres, dont regorgent les biographies de Uyeshiba, Okuyama, Takeda Sokaku, Iizasa Chōisai Ienao et combien d'autres! Donc... Pourquoi pas?

L'Hakkô-ryû/l'Okuyama-ryû, que je tente de suivre depuis 1989, répondait parfaitement à cette attente. Avec le temps, évidement, ma motivation s'est affinée, en même temps que l'école me dévoilait ses trésors.

 

Ce petit texte a pour but d'énoncer clairement les directions de notre dojo, que je veux dans la plus pure lignée de Soke Okuyama Ryûhô puis de Soke Okuyama Shizan : qu'il nous serve donc de pense-bête, ou de canevas pour un travail rigoureux.

 

Rappelons que l'Okuyama-ryû délivre intact, l'enseignement originel et authentique d'Okuyama Ryûhô, fondateur du Hakkô Ryû, grâce aux qualités de son fils adoptif, l'un des deux héritiers de fait, Okuyama Shizan qui nous a quittés depuis peu, il y a exactement six ans (décembre 2010). Hakkô ryû signifie "école traditionnelle d'art martial" (ryû) de la "huitième lumière" (Hakkô). Ce nom fait référence à l'ultraviolet du spectre lumineux, couleur invisible au commun des mortels : l' "invisibilité" en sera donc un des fils conducteurs.

 

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Selon sensei OKUYAMA Shizan, la "porte de l'efficacité" n'est accessible qu'à l'élève ayant acquis les connaissances spécifiques au cinquième dan et à "shihangi", après avoir gravi consciencieusement les marches précédentes, les bases techniques de l'école.

Ces bases techniques ne peuvent qu'être transmises de professeur à élève, directement et sur le tatami, par filiation ininterrompue depuis le fondateur. Néanmoins, les principes qui en fondent tout l'intérêt doivent être explicités: ce sont des directions; directions à suivre pour ne pas se perdre sur la Voie : perdre des années dans ses propres illusions. Des années à voltiger sans raison, des années à faire une sorte de plaisante musculation ou acte de présence dans un club de bons copains.

Notez bien : "Abandonnez vos illusions" est d'ailleurs la devise de l'école, la calligraphie la plus connue de maître Okuyama Ryûhô.

 

 

 

Pratiquer et chercher à son plus haut niveau est une chose, mais réussir à transmettre en est une autre.

"[Retrouver les principes] Cela prend du temps, mais ce qui en nécessite encore plus, est de trouver la façon de les transmettre pour que les élèves les comprennent et puissent les intégrer." (HINO Akira)

Rompant avec l'habitude assez répandue au Japon de proposer des entraînements certes pleins de bonne humeur, mais sans aucune explication verbale, sensei OKUYAMA Shizan adapta peu à peu l'enseignement à ses élèves occidentaux par quelques directives bien formulées, succinctes, faciles à se remémorer. Et pourtant, il était totalement opposé à toutes adaptations, et à toutes occidentalisations. Avec le recul, je me rends compte que sa démarche s'inscrivait dans celles de nombre de sensei dont le rayonnement explose depuis quelques années (cf infra). Reprenons quelques uns de ces enseignements.

 

Tout d'abord, son injonction "lisez le Bushidô!" (cf l'article Bushidô sur ce même site.) Le sujet mérite d'être développé dans un article ultérieur : la vraie efficacité martiale finalement, qui peut se lire dans l'attitude de l'adepte, est de vaincre sans livrer combat. Sensei O. Shizan était intraitable quant à la politesse, à l'étiquette et au savoir-vivre dans et hors du dojo.

 

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Ensuite, être vrai, et authentique: "être uke demande un gros effort d'attention et dans tous les cas de sincérité. Notre Ecole en France est intransigeante à ce sujet". Pas de simulation de douleur ou de contrôle, pas de cinéma, pas de complaisance. Mais pas de malveillance ni de défiance non plus. Etre vrai, comme l'instant de vérité d'une attaque authentiquement létale.

 

Enfin, les cinq principes sans lesquels tous entraînements dans notre art seraient parfaitement vains et inutiles. Ils sont généraux, applicables en tout, un peu abstraits, mais néanmoins, "ils ratissent large", "il y a de quoi travailler", et à tous niveaux:

1-confortable 

2-en contact

3-en mouvement perpétuel

4-en s'interdisant la force

5-en s'autorisant à perdre

N'importe lequel de nos pratiquants se rend bien vite compte qu'aussi simples paraissent ces principes, ils sont pourtant extrêmement difficiles à atteindre. Pour ne pas dire tout à fait impossibles, dans certains cas désespérés. Il n'y a d'ailleurs pas d'égalité en la matière, tout le monde est différent et apporte ses propres handicaps sur le tatami. 

 

Avec un travail sincère et engagé, l'élève se rend compte qu'il ne maîtrise rien, à commencer par lui-même, et que tout n'est qu'effet d'une réunion de certaines conditions. "Je travaille sans force", pense-t-il en bandant pourtant les biceps et en contractant la nuque. "Je suis bien en contact", pense-t-il, tout en fuyant la douleur. "Je bouge sans m'interrompre", se dit-il, alors qu'il se contente d'accélérer des mouvements raides et incohérents. "Je m'autorise à perdre", annonce-t-il tout se désolant de ne passer aucune technique, au lieu de comprendre à quel point ces échecs sont en fait les seules occasions qui lui sont offertes de progresser. Sans oublier le malentendu courant sur le terme "confortable" : au lieu de comprendre "centré, décontracté, détendu, naturel", l'élève décide de l'interpréter par la loi du moindre effort... Quel contresens! Et cætera...

S'il était venu sincèrement pour se réaliser dans un art martial, par définition efficace, par opposition aux "arts martiaux" esthétiques ou sportifs, alors soit il se décourage pour ne pas avoir à remettre en cause son fonctionnement habituel et "personnel" - cas hélas très courant, mais notre école n'empêche personne de venir ni d'en repartir-, soit il admet que les conditions doivent être changées. Il doit opérer un changement radical, et alors les choses pourront-elles être enfin différentes. L'élève engage alors un combat contre ses propres conditionnements, probablement l'un des aspects du "combat contre soi-même" nécessitant le plus de courage dont parlait sensei O. Shizan. A mille lieux du confort, n'est-ce-pas.

Changer, en particulier, la manière de bouger, l'usage de soi, l'utilisation de son corps. Sensei O. Shizan parlait aussi de "travailler à la fois son savoir-être et son savoir-faire".

 

C'est la technique qui rend ce travail possible, en remplaçant peu à peu les mauvais automatismes par de meilleurs. Les kata d'Okuyama-ryû sont des outils, dont chaque technique a une utilité qui lui est propre dans la transformation de l'utilisation du corps. Et même ces meilleurs repères seront un jour destinés à être dépassés, après avoir été intégrés.

 

Sensei Okuyama ne tarissait jamais sur ce sujet crucial. "Si ça n'a pas marché une fois, deux fois... Ne refaites donc pas la même chose, essayez différemment!". "Le premier travail d'un élève consiste à laisser de côté ses réactions habituelles".

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 "Construire une porte de western" : l'assaillant est pris sous le coup de la surprise d'une réaction totalement inattendue de la part de sa victime, comme les battants d'une porte qui nous revient dessus quand on croyait l'enfoncer d'un coup de pied. Croyant saisir, il se retrouve prisonnier de sa propre attaque. C'est l'intérêt martial de la chose : l'adepte efface son mouvement, le rend imperceptible à son adversaire.

 

Mais cette porte de western, elle n'est pas là au naturel. Surtout en Occident. Il faut la construire. Apprendre à marcher - sans vriller la colonne vertébrale-, à utiliser son poids et la gravité - sans appuyer, même dans le sol -... et pire, apprendre à se décontracter! Même le relâchement et la décontraction doivent être (ré?)appris!

 

Car la façon de se mouvoir et d'utiliser le corps selon les bujutsu, tels que notre "aikijujutsu", n'est absolument pas la même que celle à laquelle notre éducation moderne, nos habitudes sociales et culturelles nous ont habitués.

 

C'est logique. Sensei O. Ryûhô a vécu toute sa vie sur les tatamis, vêtu d'un kimono, à une époque où le Japon n'était pas encore massivement occidentalisé. Il était aussi physiquement prédisposé à ne pas pratiquer d'activité sportive, du fait d'une santé défaillante pendant sa jeunesse, qui l'a orienté très tôt vers l'étude de la médecine. Ces conditions réunies, il a donc fondé un art martial, logiquement lié à sa passion pour la médecine traditionnelle orientale (shiatsu : médecine manuelle, et goshin taisô : mouvements mettant en jeu les trajets énergétiques), et lié à son utilisation du corps qui était celle du Japon ancien. Son art martial  s'adressait d'autant plus aux personnes de faible constitution. "Apprenez les danses traditionnelles japonaises, elles vous donneront de nouveaux repères pour bouger correctement" (sensei O. Shizan).

 

Sensei O. Shizan répétait inlassablement que l'idéal du pratiquant d'Okuyama-ryû était malingre, faible, comme une vieille femme ou un vieillard.

De fait, chacun conviendra que les forts, rapides et musclés n'ont aucun besoin d'une technique particulière pour se défendre, et que le nombre ou la puissance de feu suffisent pour démultiplier la capacité de nuisance, même d'un complet ignorant en arts martiaux. L'art martial, pour mériter ce nom, doit donc nécessairement s'adresser en priorité au faible. Et au doux, au souple d'esprit, à l'étudiant rigoureux et réceptif! Car sinon, où puisera-t-il les ressources pour sortir de sa zone de confort? "Apprendre à apprendre, savoir laisser de côté ses réactions habituelles qui le poussent à juger, comparer, critiquer ce qui vient à lui avant même de s'en imprégner et de le digérer." (Yawara, Thierry Riesser, p. 33)

 

"Le facteur physique peut sembler le plus évident mais il est loin d’être le plus important. Celui qui vient et recherche uniquement à dépasser ses limites physiques sort de la zone de confort du corps mais pas de celle de l'esprit.

Sortir de la zone de confort demande un investissement personnel important et un effort constant. Physiquement cela implique de ne pas s'écouter lorsque la fatigue ou la douleur surviennent. [...] Paradoxalement, venir au dojo a demandé à la plupart des pratiquants plus d'efforts pour sortir de leur zone de confort mental que physique. Mais si l'on se souvient longtemps de courbatures dans des endroits que l'on n'imaginait pas pouvoir être aussi douloureux, on oublie souvent l'inconfort mental ressenti lors des premiers cours. Et pourtant un débutant vient se confronter à un monde inconnu où l'on emploie un langage étranger, et où ont cours des règles et rituels mystérieux… Vêtu d'une tenue étrange, il est totalement hors de sa zone de connaissance, et par là-même, de confort. [...]Une fois passé les premiers apprentissages, vient le perfectionnement. Et c'est souvent là que le pratiquant expérimenté se perd. Cherchant des certitudes, il n'acceptera plus comme correct que ce qui vient le conforter dans ses choix, et fermera son esprit à tout ce qui ne va pas dans son sens. Enfermé dans l'image qu'il se fait de sa pratique, il se conforte d'un niveau d'habileté relatif, et cesse d'absorber ce qu'offrent les enseignants, à fortiori s'ils dévient un tant soit peu de l'image qu'il s'est forgée. Au dojo ou en stage, ce pratiquant reproduit sans cesse les techniques à sa manière, regardant sans voir, installé dans sa "zone de confort" mentale. " (Léo Tamaki)

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"Ainsi qu'un ballon dirigeable, pour s'élever il faut s'alléger.. On découvre les lois simples, mais dures". (sensei O. Shizan)

 

S'alléger de quoi exactement? Mentalement, de ce que l'on croit savoir, mais aussi du poids de l' "expérience" et du soucis du devenir. Physiquement, de l'usage de la force. Retirer la force est le mécanisme de l'efficacité. Bien vite, à ce stade, les pratiquants vivent l'entraînement comme un véritable jeu. Ils "jouent" à l'art martial (Asobi keiko) retrouvant par l'expérience personnelle la bonne manière d'utiliser leur corps. Le jeu est remporté par celui des deux pratiquants qui aura su retirer le plus de sa force.

 

(cf infra, chikara nuki kurabe, la comparaison du retrait de la force, où celui qui est le plus relâché est toujours au final le maître de la situation ; Musoku: théorie qui vise à ne pas prendre appui dans le sol ; Ukimi: théorie du "corps flottant")

 

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En hommage à notre sensei O. Shizan trop tôt disparu (6e anniversaire de son décès aujourd'hui), j'ai recueilli ci-dessous quelques extraits d'enseignements d'autres très grands maîtres japonais, qui tous font échos à ses enseignements. Les mots sont presque les mêmes, certains termes japonais sont même plus précis et évocateurs, les démonstrations sont si proches d'O. Shizan qu'un frisson nous parcoure l'échine en les découvrant. Nous ne remercierons jamais assez Léo Tamaki d'avoir fait découvrir au public français ces perles du bujutsu.

Je n'ai copié que quelques extraits seulement : c'est volontaire, je ne recherchais que les échos de notre pratique en Okuyama-ryû, pas à construire une encyclopédie martiale. J'invite celui qui veut retrouver la logique de l'auteur à se rendre aux liens Internet en bas de page - voire mieux, à s'inscrire à leurs stages régulièrement organisés en France. Comme le dit l'auteur des interviews, les cours de ces maîtres sont "transversaux", le pratiquant de toutes origines martiales ou artistiques y trouve ce qu'il veut bien y trouver. J'y ai retrouvé notre Ecole.

 


 

 

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Kono Yoshinori, bujutsuka sans concession

 

"Le fait de ne pas pousser dans le sol ou de ne pas vriller son corps par exemple, sont des principes fondamentaux et élémentaires des nihon bujutsu. Mais aujourd'hui tout le monde au Japon a développé un corps adapté aux activités physiques occidentales.


Kono senseï joint alors le geste à la parole, marchant d'une façon commune, bras et jambe opposés avançant simultanément ce qui provoque une vrille au niveau de la colonne vertébrale.
"Par exemple en boxe on vrille le corps de cette manière. C'est normal puisqu'il s'agit d'une activité née en Occident. Malheureusement en Judo moderne on bouge aussi ainsi… Cela change la façon d'exécuter la technique ainsi que son résultat.


"Utiliser le corps sans vriller est une chose qui n'est plus connue, comprise ni enseignée. Que ce soit lorsque je pratiquais l'Aïkido, le Kashima ou n'importe quelle autre école, personne ne m'en avait parlé ni ne le savait. En ce sens Kuroda senseï est celui à qui je suis le plus redevable car plus qu'un enseignement technique il m'a livré les fondements des koryu. Par la suite mes recherches historiques et techniques m'ont confirmé ce qu'il m'avait révélé.

(Note de l'auteur: -Nihon bujutsu: technique martiale japonaise.

-Koryu: tradition martiale, littéralement école ancienne.)

Tout le monde bougeait donc de la même manière par le passé?

[...] Il y avait donc une très grande variété durant l'époque Edo. On dénombrait d'ailleurs entre cinq et sept cent écoles présentant des différences notables.

En revanche un point commun important était l'absence d'appuis, de poussée dans le sol.

La façon de marcher des gens dans le Japon ancien était donc différente de celle d'aujourd'hui?

Oui, c'était très différent. Ils marchaient sans balancer les bras.


Ce qu'on appelle Nanba aruki?

Oui c'est cela.


Tout le monde marchait-il ainsi?

Tout le monde. Si l'on regarde les tableaux japonais antérieurs à l'époque Meïji, personne ne marche comme aujourd'hui. Lorsque qu'une main était sortie ou avancée cela était de cette façon.
Kono senseï démontre alors les différentes façons de bouger du Japon ancien. Les différences dues à la pratique de leur métier marquaient les gens à un point tel qu'il était possible de connaître l'occupation d'un individu à sa démarche. Il semble d'ailleurs que connaître la façon de marcher de différent corps de métier ait été un talent nécessaire aux espions du Japon féodal.

 

Chaque ryu possédait donc ses propres théories. La plupart ont-elles aujourd'hui disparues?
Malheureusement oui. C'est particulièrement flagrant si on observe le gendai Kendo. Même si les pratiquants essaient d'imiter les postures du passé, il ne s'agit que d'une imitation vide. Ceux qui transmettent réellement les waza du passé, la façon de bouger antique, comme Kuroda senseï, ne représentent tout au plus que deux ou trois écoles dans tout le Japon. Deux ou trois tout au plus…


Les autres utilisent leur corps à la manière contemporaine et ne transmettent qu'une chorégraphie. Ils reproduisent les formes, imitent, mais ne savent pas bouger. Il n'y a aucun doute à ce sujet.

 

Cette utilisation traditionnelle du corps est-elle présente dans des domaines tels que la cérémonie du thé ou le théâtre Kabuki par exemple?


Elle subsiste en effet plus souvent dans ces domaines.


En voyant les vidéos d'Osenseï ou en observant Yamaguchi senseï, pensez-vous qu'ils employaient la façon traditionnelle d'utiliser le corps?


Yamaguchi senseï comme tous les autres élèves de Ueshiba utilisait son corps de façon moderne. En revanche Osenseï a reçu une éducation traditionnelle à l'époque Meïji. Ses mouvements étaient différents.

 

Le rapport de l'Aïkido au monde réel est un véritable problème.


Le problème essentiel de l'Aïkido est que l'enthousiasme et l'assiduité ne changent pas la capacité à faire face à une situation concrète. Il faut se contenter du plaisir d'une pratique enthousiaste et assidue. C'est très étrange.

 

Cela donne finalement naissance à des situations assez drôles. Lorsqu'on fait nikkyo ou sankyo, on n'accepte pas qu'aïte se dégage pendant le déroulement de la technique. C'est bizarre. La justification habituelle est que l'on met un atemi. Mais c'est risible car la personne est déjà dégagée avant que l'atemi n'arrive.

 

On entre dans une époque où la pratique devient naïve. Les shihan sont incapables de ce genre de choses et ne peuvent donner de réponses satisfaisantes aux débutants dont les questions sont toujours les plus dérangeantes. (rires)


Maîtriser une attaque de frappe ou quelqu'un qui résiste peut paraître archaïque mais ce sont des choses qui intéressent beaucoup les officiers de police par exemple.

 

[...]En regardant la trajectoire et la façon de se planter d'un shuriken il est possible de voir la puissance qui a été utilisée. Si aucun geste superflu et aucune force inutile ne sont utilisés il se plante naturellement. Même en lançant légèrement cela pénètre profondément.

 

Takeda Sokaku disait d'ailleurs qu'il était impossible de faire musha shugyo sans savoir lancer de shuriken, notamment pour se nourrir. Il avait d'ailleurs rencontré un jour quelqu'un qui avait un niveau incroyable en lancer. Cette personne pouvait planter des pièces de monnaie dans un poteau.


(N.d.a. –Musha shugyo: tour entamé par les adeptes afin de tester et approfondir leur art.)

 

Note des shihan okuyama-ryû : Takeda Sokaku fut le principal maître d'Okuyama Ryûhô. Il est donc en droite ligne dans l' "arbre généalogique" de notre Ecole.

 

Quelle est selon vous la place du ki dans la pratique?


Il y a de nombreux écrits qui ont défini le ki de nombreuses façons. Mais une chose intéressante à prendre en considération est qu'il s'agit d'une notion qui n'était pas utilisée à l'époque de Miyamoto Musashi. C'est une notion qui a été popularisée à l'époque Edo lorsque beaucoup de gens sont devenus capables de lire les classiques chinois.

 

Tout cela dépend finalement de l'utilisation du corps. Si on l'utilise correctement dans sa globalité les techniques fonctionnent naturellement. Il faut bouger en retirant la force dans chaque geste mais cela ne peut être étudié qu'auprès de quelqu'un qui a un sens aigu de ce type de travail. C'est très difficile.

 

[...]Il faut graver profondément en nous nos échecs pour les dépasser. Si l'on ne fait pas cela, si l'on ne travaille pas en acceptant qu'aïte se dégage, etc… il n'y a pas de réelle évolution possible dans le monde du bujutsu.


Le fait de marcher en gardant la main et la jambe liés,  de ne pas vriller le corps, restent présent à l'esprit car le kimono se défait si on bouge d'une autre manière.

 

[...]Notre société actuelle serait donc responsable de notre incapacité croissante à utiliser efficacement notre corps?


Tout à fait, et cela commence dès l'enfance. Enfant je fabriquais beaucoup de choses avec mes mains et je jouais dans la montagne. Je me fabriquais des flûtes en bambou, des arcs, des katanas en bois… Je crois que fabriquer des objets est un très bon exercice physique. Porter des objets et aider les gens dans la vie quotidienne fait aussi partie de l'éducation du corps. Grimper aux arbres ou sauter de branches en branches est pour moi le meilleur entraînement. A l'époque Meïji un célèbre maître de sabre nommé Nakaï Kamejiro possédait des capacités physiques incroyables. Il s'amusait à attraper des singes sauvages ou courait en frappant un pot vide sur les pentes de montagne. C'est ainsi qu'il développa un physique incroyable. Son corps semblait fait de câbles d'acier. Il ne s'entraînait pas avec des poids mais en faisant un tsuki en tenant son shinaï d'une main il faisait voler ses adversaires de plusieurs mètres!


Aujourd'hui les lutteurs japonais ont du mal à rivaliser avec les lutteurs mongols qui ont eu ce type de vie dans leur enfance.


La véritable éducation physique consiste à montrer la joie et le plaisir d'utiliser son corps qui sont bien supérieurs à ceux des jeux vidéos. C'est cela la véritable éducation physique. Plus encore, avant de jouer au football ou au baseball il faudrait apprendre à se lever, tomber, porter des objets ou des personnes.


Je voudrais demander aux parents de considérer ce qui est essentiel. Plutôt que d'être bon en foot n'est-il pas intéressant de pouvoir porter des choses, couper du bois ou faire un nœud? Rentrer dans une université est bien mais forger un corps et un esprit solide permet d'affronter les défis de la vie.


Aujourd'hui si une catastrophe naturelle telle qu'un tremblement de terre arrivait beaucoup de gens seraient inutiles aux autres car ils ne sont pas capables de transporter d'objets lourds, mais ils seraient même probablement incapables de survivre seuls.

 

 


Vous n'étiez pas bon en sport?


Non. J'étais très mauvais en sport.


Le sport n'est-il pas une méthode d'éducation physique?


Le principal problème des sports actuels est que plus les gens s'investissent plus ils se blessent. Ils ne se renforcent pas mais se consument et s'épuisent. Par exemple un entraîneur m'avouait que le moment où un joueur de badminton atteint un niveau professionnel est généralement celui où il a définitivement abîmé ses genoux.



La musculation ne pourrait-elle pas permettre de remédier à ce type de problèmes?

 
Le corps doit être utilisé dans la globalité mais la musculation ne développe le corps que partiellement. Cela est source de déséquilibre et de problèmes physiques car certains muscles se développent alors que d'autres restent atrophiés et cela provoque des blessures musculaires telles que les déchirures. Même un enfant pourrait comprendre cela mais personne n'essaye d'y remédier.


Il est possible de pratiquer la musculation mais il faut le faire en pensant à développer le corps dans sa globalité. Mais je crois qu'il est aussi très efficace de développer son corps par le travail. Les sumotoris anciens Wakanohana ou Taïho n'avaient-ils pas développé leur corps ainsi? Les fondements du corps des sumotoris du passé venaient du travail dans les champs et les rizières. Avant de devenir lutteur ils avaient forgé un corps puissant qu'ils ont pu développer facilement.


L'entraînement actuel ressemble à une sorte de menu. Si on fait cela, tel muscle se développe. Avec ce type de pensée il devrait être possible de prévoir le développement du sportif et de son niveau. Mais les faits montrent que ce n'est pas aussi simple.

 


 

 

 

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Kuroda Tetsuzan, la tradition en héritage

 

Koroda Tetsuzan est l'un des plus grands maîtres d'arts martiaux contemporains. A vingt ans il devient le plus jeune pratiquant de l’histoire à recevoir le titre de Hanshi Hachidan (8ème dan) de Kobudo du Daï Nippon Butokukaï. Pratiquant hors pair il est aussi un théoricien exceptionnel qui a mis en lumière les principes régissant l'utilisation du corps dans les voies martiales traditionnelles.

 

(Parlant de son grand-père, pratiquant de haut niveau) "Ses mouvements était magnifiques. Il tenait le sabre si légèrement. Pas d'une manière ostensible mais avec une véritable légèreté.

 

"J’ai alors réalisé qu’on n’est généralement conscient que des tensions superficielles mais que nos muscles profonds restent tendus.

 

 "Tout ce qui est du domaine de l' "ambiance" dans la manière de bouger est un "tic", une mauvaise habitude puisque ce sont des gestes "visibles". Il n'y avait rien. Juste les gestes purs sans maniérisme.

 

 " Tel jour nous travaillions uniquement un mouvement d'un certain kata en prenant conscience du plus infime détail, puis un autre à l'entraînement suivant. J'ai ainsi pu redécouvrir toute ma pratique. Pourquoi en faisant ainsi le mouvement ne créait pas de déséquilibre, quelle utilisation du corps rendait la technique efficiente…

 

 

"Et même si on dit de pratiquer souplement souvent les gens n'ont pas conscience qu'ils frappent fort.

 

"Il existait bien sûr des concepts tels que rendre les choses courtes longues, utiliser les longues comme si elles étaient courtes. Nous faisions par exemple les suburis près des shojis de manière à pouvoir utiliser le sabre même dans un espace restreint sans heurter les murs ou le plafond. C'était ce genre de choses concrètes.

Suburi = mouvement de coupe au sabre.


Shoji = porte coulissante japonaise en bois et papier.)

 

"Il ne faut pas bouger juste avec l'idée du geste mais en étant réellement conscient de ce que nous faisons.

 

La marche est-elle un domaine important à vos yeux?

Oui. C'est la chose la plus importante. Quelle que soit son activité l'homme est amené à se déplacer. Comprendre l'importance de la marche c'est pouvoir pratiquer en permanence. Il ne s'agit pas simplement des déplacements dans le dojo mais à chaque instant de la vie.

[...] l'utilisation de la plante du pied est le point auquel je prête attention actuellement. Et je cherche à développer cela de façon encore plus fine et précise tout en cherchant s'il n'y a pas d'autres façons de faire. C'est un entraînement permanent.

 

Vous utilisez souvent des tabis, cela influence-t-il votre pratique?

Oui. Les tabis ne permettent pas de prendre appui. On ne peut pas tricher.
Il est important de ne pas s'illusionner sur sa propre pratique et les tabis nous permettent cela.

 

"Si les objectifs de la pratique martiale ont évolués avec le temps il est indéniable que son but premier fut l'efficacité en combat. Et la modification de l'utilisation du corps en est un élément essentiel. Ce travail qui s'exprime de nombreuses manières est d'ailleurs au cœur de nombreux exercices n'ayant pas ou peu de rapport direct avec une technique applicable

 

Quelle différence avez-vous noté entre les mouvements des danseurs et ceux des budokas?

Paradoxalement leur façon de bouger est souvent assez proche. La principale différence est que les mouvements des danseurs ne développent pas de puissance. En Budo un mouvement sans effet n'a pas de sens. Un geste dont la seule efficacité est esthétique est inutile dans un monde où l'on marche sur la frontière qui sépare la vie et la mort.C'est la principale différence.

Je l'explique et le démontre en faisant toucher les muscles que j'utilise aux élèves mais pour effectuer le même mouvement les muscles que je sollicite sont totalement différents des leurs.

 

 

Quel est selon vous le but de la pratique aujourd'hui?

C'est ce que nous avons évoqué tout à l'heure. Le plaisir d'arriver à changer notre manière d'utiliser notre corps, d'arriver à voir ce qui est invisible est probablement le principal.


Si on va plus loin on arrive à se demander quelle vie nous vivons, nous qui ne savons pas réellement nous lever ou marcher. Du point de vue du Bujutsu on ne possède pas plus de capacités qu'un nouveau-né.


Nous cherchons à développer un corps qui a intégré les mouvements des samouraïs du passé, à arriver à réellement utiliser le corps que nous ont donné nos parents.


Le Shinbukan n'est pas une école pour devenir fort en bagarre et détruire un adversaire. La capacité doit être là mais ne doit pas être utilisée. Le but des Bujutsu n'est pas de trancher la tête des gens.


Le monde est devenu un endroit d'une grande violence. Mais le but de la pratique n'est absolument pas d'apprendre à blesser ou tuer. Il faut faire en sorte que l'autre n'accomplisse pas le geste. Terminer un combat avant qu'il ait eu lieu.


C'est le véritable but du Bujutsu. Régler un conflit avant qu'il ne se développe.

 


 

Conclusion

 

Se délester des conditionnements qui nous empoisonnent et nous entravent, se libérer d'un usage néfaste de soi, grâce aux outils que sont les kata, au nombre de cinq : cinq marches modifiant profondément notre utilisation du corps avant shihangi, avant l'entrée dans "un monde nouveau", voici ce qu'est rien de moins que le programme proposé par l'Okuyama-ryû.

Six ans après le départ de notre sensei, ravivons la flamme de sa mémoire, en travaillant avec enthousiasme les principes qu'il incarnait et nous transmettait.

 

"Au Hakko-ryû /Okuyama-ryû, on propose d'emblée une "huitième lumière", une puissance invisible, au delà de la technique externe. C'est l'objet de "Shihan-gi". Une huitième lumière (hakko), une voie souple (yawara), voilà ce que propose Maître Okuyama. Considérant la diffraction de la lumière en sept couleurs, ou lumières différentes, Soke Okuyama nomma son école la "huitième lumière", celle-ci étant la longueur d'onde de l'ultra violet, invisible à l'œil mais plus puissante que les sept autres. La pénétration de l'ultra violet est plus forte, son efficacité également mais sa manifestation ne peut être perçue immédiatement.

"Quant au "mon" de l'école, son emblème, quatre carrés percés et groupés à l'intérieur d'un cercle, il représente quatre yeux, "yotsu me", quatre directions, un symbole de stabilité, de vigilance et d'universalité.

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"Notre "jutsu" est un "JU" jutsu, c'est à dire un Art de Souplesse, où l'attitude souple de l'acceptation laisse les questions qui nous dépassent dans leur dimension retourner d'où elles viennent, laissant en nous une trace de matière divine.... Une voie à l'échelle humaine, à défaut d'une Voie Lactée..." (sensei OKUYAMA Shizan, Yawara, 1983)

 

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(Pour profiter des articles entiers, dont sont extraits ces quelques passages :)

 

http://www.leotamaki.com/article-interview-kono-yoshinori-bujutsuka-sans-concessions-51927826.html

http://www.leotamaki.com/article-interview-kuroda-tetsuzan-la-tradition-en-heritage-50011591.html

http://www.leotamaki.com/article-36952391.html

(Interview de Hino Akira, "le tengu de Wakayama")

 

et surtout:

http://www.leotamaki.com/article-sortir-de-la-zone-de-confort-125031459.html



20/12/2016
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